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Retour au challenge: Souvenirs ensanglantés
Les mystères de Montebello
Nous sommes en plein mois d’août. Mes parents, ma sœur et moi partons en vacances direction le Canada. Nous sommes follement excités par cette aventure, découvrir une nouvelle culture, un nouveau territoire, et ce fameux accent chantant du Québec !
C’est en fanfare que nous arrivons à notre premier hôtel, et pas des moindres : mes parents ont fait la folie de réserver quelques nuits au sein du très prestigieux Château Montebello, bâti le long de la rivière des Outaouais. L’hôtel a la particularité d’être “la plus grande cabane en bois du monde”. Ce lieu de villégiature inédit, dont les travaux ont démarré en 1930 à la force des bras de 3000 hommes travaillant 7 jours du 7 et 24h/24h (je me renseigne toujours sur les hôtels en amont d’un voyage, un vrai toc de touriste), est impressionnant et ne me laisse pas indifférente.
On peut y voir une sorte de force tranquille : la construction nécessita 10.000 troncs de cèdres rouges issus de la Colombie-Britannique, et est constituée de 1400 portes et 540 fenêtres. L’établissement, nous l’apprenons également dans les prospectus proposés à la réception, a été partiellement détruit par un terrible incendie en 1967.
La réception de l’hôtel est située au niveau de l’imposant foyer central où trône une cheminée titanesque. Le majordome, qui nous observe pendant que nous admirons ce miracle architectural, nous taquine en nous racontant une vieille rumeur : lors de la construction de ce foyer, un ouvrier aurait chuté dans le ciment qui forme la structure interne et n’aurait pu être sauvé. Son corps se trouverait donc encore dans les fondements de la gigantesque cheminée. Un frisson me parcoure l’échine en imaginant ce pauvre homme, figé dans ces murs pour l’éternité.
Nous nous dirigeons vers nos chambres, au 1er étage. L’hôtel est immense, les couloirs forment de véritables labyrinthes. Tout ici est en bois, et nos pas font grincer le parquet. Je remarque d’un œil les haches qui ornent, ici et là, les murs. Sans doute une touche décorative en souvenir de la construction de ce lieu hors du commun. Nous arrivons à nos chambres et nous nous y installons avant d’aller dîner. Il est déjà tard et l’hôtel propose un barbecue convivial. Le décalage horaire nous rattrape, chacun baille, il est encore tôt dans la soirée mais nous nous endormons rapidement : il faut prendre des forces pour le programme du lendemain qui s’annonce chargé.
Je dors dans la même chambre que ma sœur. Morphée nous accueille rapidement dans ses bras. Pourtant, je me réveille en sursaut. Je n’ai aucune notion du temps, je suis complètement décalée. Je reprends conscience d’un seul coup de l’endroit où je me trouve, loin, très loin de mes repères habituels.
J'entends des pas à l’extérieur, dans le couloir. Il fait nuit noire, j’entends ma sœur à côté de moi qui dort profondément, sa respiration est calme. Pourtant, la mienne s’affole. Des palpitations me saisissent, je ressens une sueur glaciale dans mon dos. L’image vivace des haches dans le couloir s’impose dans mon esprit, ces haches dont n’importe qui pourrait se saisir. Les pas semblent se rapprocher du seuil de la chambre. Puis s’y arrêter. Je sens mes muscles se tétaniser.
J’imagine un homme qui cherche à se venger de son ancêtre figé dans la pierre. Ou bien un esprit malveillant, un ouvrier qui serait mort lors de cet incendie, des décennies plus tôt. J’imagine cette présence, réelle ou fantomatique, prendre possession de la chambre, hache à la main, des yeux démoniaques, un esprit malin, qui a soif de sang. Il nous a choisi pour satisfaire son désir de vengeance. Tout va se jouer là, maintenant. Il va entrer, et violemment nous démembrer. Il va commencer par ma soeur assoupie, je vais me cacher sous le lit dans un stupide élan de survie. J’appelle ma sœur mais elle ne se réveille pas. Je vais entendre le charognard s'acharner sur elle. Le bruit infernal de la chair qui se sectionne et qui s’imprime dans mes oreilles. Je vais entendre ce diable ricaner follement, jouissant de son action, je vais voir le sang couler sur le parquet, passer au travers du bois vieilli. Ma sœur n’aura même pas eu le temps de crier.
Je tremble tellement que je fais grincer le parquet sous le lit. Je vois ce terrible visage se porter à ma hauteur. Il m’attrape de ses bras puissants. J’ai à peine le temps de voir sur le lit le corps sans vie, dénaturé.
La tristesse n’a pas le temps de me saisir, seul l’effroi me traverse, juste avant la hache. Hébétée, je vois mon bras gauche au sol. L'hémoglobine qui coule à flot. Puis le trou noir. Mon âme sort de mon corps. J’assiste à la scène depuis le plafond de la chambre. Il continue à me démembrer, inlassablement, dans toute sa fureur. Je gîs désormais sur le sol, méconnaissable. Ma sœur sur les draps blancs. Une scène de désolation, d’horreur. Un véritable carnage. Je pense à mes parents, qui appelleront sans doute le majordome pour défoncer la porte suite à leurs appels sans suite pour les rejoindre au petit-déjeuner. Puis la découverte de nos deux corps sans vie. Quelque chose d'insoutenable, l'impensable. Une monstruosité sans nom. Que faire ? Que dire alors ?
Je reprends mes esprits. Les pas s’éloignent. Personne n’est rentré dans la chambre. Les battements de mon cœur s’apaisent lentement. Mon dos est trempé de sueur. Mon imagination est décidément sans limites.
Je regarde mon téléphone portable. Il est 6h du matin. Le jour ne s’est pas encore levé. Je me lève et, à taton, me dirige vers la porte de la chambre. C’est là que je remarque un papier sur le sol. Je le ramasse, et aperçois le menu du restaurant de l’hôtel, qui change chaque jour. Il y avait donc bien quelqu’un derrière la porte, je n’ai pas rêvé ces pas, ni cet arrêt soudain sur le seuil.
Il ne s’agissait pas d’un criminel ni de quelque esprit mortifère. Seulement d’un employé de l’hôtel qui faisait son travail à l’aube, pour distribuer le menu dont la lecture me fit immédiatement saliver.
Je secouais la tête en levant les yeux au ciel. J’avais vraiment un grain, ou alors c’était à cause de toutes ces émissions que je regardais à la télé ! Je détournais le regard pour le poser sur le lit, et poussais un soupir de soulagement en observant ma sœur qui dormait toujours du sommeil du juste.
Je me dirigeais vers la fenêtre, où je pouvais désormais apercevoir les premiers signes du soleil levant. Une belle journée s’annonçait, et mes frissons de terreur furent vite remplacés par des frissons de bonheur.
Nous sommes en plein mois d’août. Mes parents, ma sœur et moi partons en vacances direction le Canada. Nous sommes follement excités par cette aventure, découvrir une nouvelle culture, un nouveau territoire, et ce fameux accent chantant du Québec !
C’est en fanfare que nous arrivons à notre premier hôtel, et pas des moindres : mes parents ont fait la folie de réserver quelques nuits au sein du très prestigieux Château Montebello, bâti le long de la rivière des Outaouais. L’hôtel a la particularité d’être “la plus grande cabane en bois du monde”. Ce lieu de villégiature inédit, dont les travaux ont démarré en 1930 à la force des bras de 3000 hommes travaillant 7 jours du 7 et 24h/24h (je me renseigne toujours sur les hôtels en amont d’un voyage, un vrai toc de touriste), est impressionnant et ne me laisse pas indifférente.
On peut y voir une sorte de force tranquille : la construction nécessita 10.000 troncs de cèdres rouges issus de la Colombie-Britannique, et est constituée de 1400 portes et 540 fenêtres. L’établissement, nous l’apprenons également dans les prospectus proposés à la réception, a été partiellement détruit par un terrible incendie en 1967.
La réception de l’hôtel est située au niveau de l’imposant foyer central où trône une cheminée titanesque. Le majordome, qui nous observe pendant que nous admirons ce miracle architectural, nous taquine en nous racontant une vieille rumeur : lors de la construction de ce foyer, un ouvrier aurait chuté dans le ciment qui forme la structure interne et n’aurait pu être sauvé. Son corps se trouverait donc encore dans les fondements de la gigantesque cheminée. Un frisson me parcoure l’échine en imaginant ce pauvre homme, figé dans ces murs pour l’éternité.
Nous nous dirigeons vers nos chambres, au 1er étage. L’hôtel est immense, les couloirs forment de véritables labyrinthes. Tout ici est en bois, et nos pas font grincer le parquet. Je remarque d’un œil les haches qui ornent, ici et là, les murs. Sans doute une touche décorative en souvenir de la construction de ce lieu hors du commun. Nous arrivons à nos chambres et nous nous y installons avant d’aller dîner. Il est déjà tard et l’hôtel propose un barbecue convivial. Le décalage horaire nous rattrape, chacun baille, il est encore tôt dans la soirée mais nous nous endormons rapidement : il faut prendre des forces pour le programme du lendemain qui s’annonce chargé.
Je dors dans la même chambre que ma sœur. Morphée nous accueille rapidement dans ses bras. Pourtant, je me réveille en sursaut. Je n’ai aucune notion du temps, je suis complètement décalée. Je reprends conscience d’un seul coup de l’endroit où je me trouve, loin, très loin de mes repères habituels.
J'entends des pas à l’extérieur, dans le couloir. Il fait nuit noire, j’entends ma sœur à côté de moi qui dort profondément, sa respiration est calme. Pourtant, la mienne s’affole. Des palpitations me saisissent, je ressens une sueur glaciale dans mon dos. L’image vivace des haches dans le couloir s’impose dans mon esprit, ces haches dont n’importe qui pourrait se saisir. Les pas semblent se rapprocher du seuil de la chambre. Puis s’y arrêter. Je sens mes muscles se tétaniser.
J’imagine un homme qui cherche à se venger de son ancêtre figé dans la pierre. Ou bien un esprit malveillant, un ouvrier qui serait mort lors de cet incendie, des décennies plus tôt. J’imagine cette présence, réelle ou fantomatique, prendre possession de la chambre, hache à la main, des yeux démoniaques, un esprit malin, qui a soif de sang. Il nous a choisi pour satisfaire son désir de vengeance. Tout va se jouer là, maintenant. Il va entrer, et violemment nous démembrer. Il va commencer par ma soeur assoupie, je vais me cacher sous le lit dans un stupide élan de survie. J’appelle ma sœur mais elle ne se réveille pas. Je vais entendre le charognard s'acharner sur elle. Le bruit infernal de la chair qui se sectionne et qui s’imprime dans mes oreilles. Je vais entendre ce diable ricaner follement, jouissant de son action, je vais voir le sang couler sur le parquet, passer au travers du bois vieilli. Ma sœur n’aura même pas eu le temps de crier.
Je tremble tellement que je fais grincer le parquet sous le lit. Je vois ce terrible visage se porter à ma hauteur. Il m’attrape de ses bras puissants. J’ai à peine le temps de voir sur le lit le corps sans vie, dénaturé.
La tristesse n’a pas le temps de me saisir, seul l’effroi me traverse, juste avant la hache. Hébétée, je vois mon bras gauche au sol. L'hémoglobine qui coule à flot. Puis le trou noir. Mon âme sort de mon corps. J’assiste à la scène depuis le plafond de la chambre. Il continue à me démembrer, inlassablement, dans toute sa fureur. Je gîs désormais sur le sol, méconnaissable. Ma sœur sur les draps blancs. Une scène de désolation, d’horreur. Un véritable carnage. Je pense à mes parents, qui appelleront sans doute le majordome pour défoncer la porte suite à leurs appels sans suite pour les rejoindre au petit-déjeuner. Puis la découverte de nos deux corps sans vie. Quelque chose d'insoutenable, l'impensable. Une monstruosité sans nom. Que faire ? Que dire alors ?
Je reprends mes esprits. Les pas s’éloignent. Personne n’est rentré dans la chambre. Les battements de mon cœur s’apaisent lentement. Mon dos est trempé de sueur. Mon imagination est décidément sans limites.
Je regarde mon téléphone portable. Il est 6h du matin. Le jour ne s’est pas encore levé. Je me lève et, à taton, me dirige vers la porte de la chambre. C’est là que je remarque un papier sur le sol. Je le ramasse, et aperçois le menu du restaurant de l’hôtel, qui change chaque jour. Il y avait donc bien quelqu’un derrière la porte, je n’ai pas rêvé ces pas, ni cet arrêt soudain sur le seuil.
Il ne s’agissait pas d’un criminel ni de quelque esprit mortifère. Seulement d’un employé de l’hôtel qui faisait son travail à l’aube, pour distribuer le menu dont la lecture me fit immédiatement saliver.
Je secouais la tête en levant les yeux au ciel. J’avais vraiment un grain, ou alors c’était à cause de toutes ces émissions que je regardais à la télé ! Je détournais le regard pour le poser sur le lit, et poussais un soupir de soulagement en observant ma sœur qui dormait toujours du sommeil du juste.
Je me dirigeais vers la fenêtre, où je pouvais désormais apercevoir les premiers signes du soleil levant. Une belle journée s’annonçait, et mes frissons de terreur furent vite remplacés par des frissons de bonheur.
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21/09/2022 20:02
C’est fou comme l’imagination peut dérailler et la peur devenir irraisonnée ! Jusque dans nos rêves aussi… chouette texte très prenant :)
21/09/2022 22:07
Un grand merci d'avoir lu mon texte et pour les encouragements :)
21/09/2022 14:42
Votre souvenir m'a bien fait rire, Victoria. Avec la peur, j'ai aussi une imagination foisonnante qui s'emballe, et ça donne quelque chose de similaire à ce que vous racontez. Merci pour ce partage (bien raconté, qui plus est) :)
21/09/2022 22:06
Merci Anastasia ! Oh oui l'imagination s'emballe surtout la nuit n'est-ce pas :)
21/09/2022 13:36
Très plaisant à lire ….
Ha j’aime bien la chute !!
21/09/2022 14:27
merci c'est gentil :)